article intitulé "Cour constitutionnelle : le fisc doit supporter l'indemnité de procédure" paru dans la revue "LE FISCOLOGUE" n° 1432 du 29 mai 2015
Cour constitutionnelle : le fisc doit supporter l'indemnité de procédure
Selon la Cour constitutionnelle, il n'est pas contraire au principe d'égalité garanti par la Constitution que le fisc puisse être condamné en matière fiscale à payer l'indemnité de procédure quand il est débouté en justice (arrêt du 21 mai 2015, n° 70/2015).
Indemnité de procédure
Au début de l'année 2008, une réglementation nouvelle est intervenue dans les procédures judiciaires en matière d'indemnité de procédure. Depuis lors, une intervention forfaitaire est accordée à la partie ayant obtenu gain de cause pour compenser les frais et honoraires qu'il doit payer à son avocat (art. 1022 du code judiciaire). Le tarif de l'indemnité de procédure est réglé par un AR du 26 octobre 2007 (Fisc., nr. 1092 , p. 8). Le montant dépend de la 'valeur' de la demande.
Le régime s'applique à toutes les affaires qui relèvent du champ d'application du code judiciaire. Il s'applique donc aussi dans le cadre des procédures judiciaires fiscales (au sens de l'art. 569, al. 1, 32°, code judiciaire). Ceci signifie que le contribuable doit payer au fisc l'indemnité de procédure précitée lorsque le fisc se fait assister en justice par un avocat et qu'il (le fisc) obtient gain de cause. En sens inverse, cela signifie aussi que le fisc doit payer l'indemnité de procédure au contribuable lorsque celui-ci se fait assister par un avocat et qu'il (le contribuable) obtient gain de cause.
Questions préjudicielles
Alors qu'au début, ce régime fut appliqué sans difficultés particulières, au fil du temps s'est posée la question de savoir s'il était bien conforme au principe constitutionnel d'égalité que l'autorité publique puisse être condamnée au paiement de l'indemnité de procédure (quand elle succombe). Le doute a surgi du fait qu'en vertu de la loi pénale, le ministère public ne peut jamais être condamné au paiement d'une indemnité de procédure. Cette exclusion ne devait-elle pas être étendue à tous les cas où les autorités publiques interviennent en tant que défenseurs de l'intérêt général ?
Le doute fut encore renforcé du fait que la Cour constitutionnelle rendit un certain nombre d'arrêts dans lesquels elle avait relevé le caractère discriminatoire de la condamnation de certaines autorités publiques à payer l'indemnité de procédure (ainsi l'officier de l'état civil quand il est débouté dans le cadre d'un recours contre sa décision de refus de célébrer un mariage; Fisc., nr. 1395 , p. 2; voyez aussi ci-dessous).
Ces hésitations ont amené le tribunal de première instance d'Arlon à interroger (à plusieurs reprises) la Cour constitutionnelle quant à savoir si l'obligation de payer une indemnité de procédure était bien conforme au principe d'égalité garanti par la Constitution lorsque la partie succombante est une autorité publique chargée de percevoir l'impôt. Suite à ces questions préjudicielles, le fisc a demandé à ses fonctionnaires, dans tous les litiges pendants, de proposer aux juges de tenir leurs décisions quant à l'octroi de l'indemnité de procédure en suspens jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle statue sur la question (Fisc., nr. 1386 , p. 15). Nombre de Cours et tribunaux ont accédé à cette requête, avec pour effet que de nombreux jugements et arrêts ont été prononcés sur le fond, tout en réservant leurs décisions sur l'octroi de l'indemnité de procédure.
Pas de discrimination
Dans son arrêt du 21 mai 2015, la Cour constitutionnelle estime qu'il n'y a pas de violation du principe d'égalité garanti par la Constitution et que, dans les litiges fiscaux, le fisc peut donc être condamné à payer l'indemnité de procédure.
L'arrêt compte 25 pages dont la lecture est assez aride. Il est difficile d'en refléter toutes les nuances en quelques lignes; seule une lecture attentive de l'arrêt permet d'en saisir toute la finesse. Voici néanmoins les grandes lignes du raisonnement tenu par la Cour.
* Oui, nous, Cour constitutionnelle, avons développé une jurisprudence estimant que les autorités publiques qui représentent l'intérêt général ne peuvent être condamnées à payer l'indemnité de procédure.
* Mais entre-temps le législateur n'est pas resté inactif et il a fait en sorte que le régime de l'indemnité de procédure soit également applicable dans les procédures devant le Conseil d'Etat (loi du 20 janvier 2014). La Cour y voit la volonté explicite du législateur de ne pas exclure toute condamnation à une indemnité de procédure, lorsque, dans des procédures civiles, la partie succombante est une autorité publique qui représente l'intérêt général (n° B.6.3., et suiv.).
* C'est pour nous, Cour constitutionnelle, l'occasion "de revenir sur une partie de [notre] jurisprudence" (n° B.9.2.). Et la Cour semble dire que si elle s'en tenait à son ancienne jurisprudence, cela "empêcherait tout changement ou amélioration" (ibidem). Il s'impose donc de "reconsidérer" cette jurisprudence (n° B.9.3.).
* Après avoir ainsi tout 'reconsidéré', la Cour décide que "le principe d'égalité et de non-discrimination ne commande pas que l'Administration fiscale", sur le plan de l'indemnité de procédure, "soit traitée de la même manière que le ministère public agissant en matière pénale" (n° B.12.1.). Autrement dit, l'Administration fiscale (ou n'importe quelle autorité publique chargée de percevoir l'impôt, telle une commune) doit, quand elle est déboutée, pouvoir être condamnée au paiement de l'indemnité de procédure.
Quid pour l'avenir ?
Cette décision de la Cour constitutionnelle permettra de ramener le calme sur le front des indemnités de procédure. Tous les jugements et arrêts dans lesquels la décision sur l'indemnité de procédure a été tenue en suspens dans l'attente de la décision de la Cour constitutionnelle, peuvent donc être clôturés.
Mais le dossier est-il ainsi définitivement clôturé ? Ce n'est pas sûr. On se rappellera en effet qu'à la fin de la législature précédente, le législateur a supprimé de manière générale l'octroi d'une indemnité de procédure à charge de l'Etat, dans les cas où une 'personne morale de droit public agit dans l'intérêt général' en tant que partie dans une procédure judiciaire (loi du 25 avril 2014, MB, 19 août 2014; Fisc., nr. 1395 , p. 2). A priori, cette suppression s'applique également aux cas où l'Administration fiscale est partie à la cause. En résulte-t-il que l'arrêt de la Cour constitutionnelle commenté ici est déjà mis hors jeu ? Non : la modification de la législation précitée n'est toujours pas entrée en vigueur à ce jour. Son entrée en vigueur doit être fixée par arrêté royal et cet AR n'a toujours pas été pris.
En outre, on peut déduire de l'arrêt de la Cour constitutionnelle que le sort de cette modification légale est déjà réglé. Dans son arrêt, la Cour indique en effet en termes on ne peut plus clairs que cette modification légale "créera des différences de traitement qui paraissent difficilement justifiables" (n° B.7.2.). Le législateur vient de rendre l'indemnité de procédure aussi applicable aux litiges soumis au Conseil d'Etat (loi du 20 janvier 2014; voyez ci-dessus). Cette modification de la législation a pour conséquence qu'une autorité publique qui se trouve en litige devant le Conseil d'Etat pourrait être condamnée au paiement d'une indemnité de procédure, alors que, selon la loi du 25 avril 2014, il ne pourrait plus en être ainsi si elle est en litige devant des tribunaux ordinaires (ceci, bien entendu, dès lors qu'un AR aura fixé la date d'entrée en vigueur de cette modification légale intervenue ultérieurement). On s'attend donc à ce que la Cour constitutionnelle annule, à la prochaine occasion, la modification apportée par la loi du 25 avril 2014 (modification qui n'est toujours pas entrée en vigueur). La Cour constitutionnelle doit d'ailleurs encore se prononcer sur les différents recours en annulation introduits contre cette loi (voyez notamment Fisc., nr. 1424 , p. 15).
Officier de l'état civil
Pour être complet, nous revenons sur le cas évoqué ci-dessus de l'officier de l'état civil qui agit en justice dans le cadre d'un recours contre sa décision de refus de célébrer un mariage. La Cour constitutionnelle avait décidé que cet officier public ne pouvait pas être condamné à payer l'indemnité de procédure (voyez ci-dessus). Or, il ressort d'un autre arrêt portant la même date que la Cour constitutionnelle a aussi adapté sa jurisprudence sur ce point. La Cour considère maintenant, dans la ligne de sa nouvelle position, que ce fonctionnaire peut aussi être condamné à payer l'indemnité de procédure (arrêt n° 68/2015). Pour un troisième arrêt similaire de la Cour constitutionnelle concernant une commune agissant en justice dans le cadre d'un recours contre la décision de son fonctionnaire chargé des sanctions administratives, voyez l'arrêt n° 69/2015 du 21 mai 2015.